Interview Anne-Victoire AURIAULT
Rencontre avec Anne-Victoire AURIAULT, Ensimag'2011
Après avoir été diplômée de Grenoble INP Ensimag en 2011, Anne-Victoire AURIAULT occupe les bancs de l’Université de Princeton de 2010 à 2012 pour y suivre le master finance. Elle rejoint ensuite la division "Sales and Trading" de Goldman Sachs à New York, où son parcours impressionnant l'amène à être promue "Partner" en 2020, une des plus hautes distinctions de Wall Street.
Nous l’avons interviewée afin de découvrir le rôle d’une partner à Goldman Sachs et le métier de trader à New York, ainsi que d'obtenir ses conseils à tous celles et ceux intéressés par une carrière en finance de marché.
Nous tenons à remercier chaleureusement Anne-Victoire pour avoir pris le temps de répondre à toutes nos questions.
Félicitations pour votre promotion! Comment avez-vous vécu la nouvelle et quelles en sont les conséquences pour la suite?
Le processus de promotion à Goldman Sachs est assez opaque. A aucun moment je n'ai su que j’étais candidate. Au vu de mes bons résultats l’année précédente, je savais qu'il y avait une chance, mais je ne comptais vraiment pas dessus. Quand j'ai reçu le coup de fil de notre CEO, David Solomon, pour m'accueillir dans le Partnership, c'était donc une magnifique surprise!
Je ne m'attends pas à des changements brusques dès les premières années, mais petit à petit les partners ont un rôle de plus en plus large en terme de responsabilités. Ils sont notamment responsables de la stratégie de croissance à moyen terme de leur groupe.
Pouvez-vous nous décrire en quoi consiste votre métier?
Je dirige l'équipe de Program Trading au sein du groupe "Equities" (actions et dérivés d'actions). Cette équipe est spécifiquement responsable de coter (proposer un prix à l'achat ou à la vente) des portefeuilles d'action aux clients institutionnels de Goldman Sachs. L'équipe est également responsable de mettre au point des stratégies systématiques moyenne fréquence (de quelques jours à quelques semaines) sur des portefeuilles d'actions. Par exemple, une de nos principales stratégies concerne les "rebalances" d’indices.
Tous les membres de l'équipe ont un rôle hybride de "quant trader". "Quant" parce que toutes nos stratégies sont construites à partir d'une analyse formelle de l'offre et de la demande et implémentées à l'aide d'outils informatiques à grande échelle. "Trader" parce que l'équipe gère en permanence un inventaire d'une taille très significative, à la fois en termes de nombre d'instruments financiers (des milliers) et en termes de capital engagé (en moyenne 2 milliards "long" contre 2 milliards "short"). Ce risque doit être "managé" de très près et c'est exactement le métier d'un trader.
Comment est la vie à New York?
New York est une ville immense et incroyablement riche. Chacun peut y trouver ce qu'il aime. Personnellement, je profite beaucoup de l'offre culturelle. J'apprécie aussi beaucoup le fait que c’est une ville très diverse. Très peu de personnes vivant à New York en sont originaires, les gens viennent de partout !
Quelle est l'ambiance dans les salles de marché et quels sont vos horaires de travail?
Mon expérience est très différente de la représentation que les médias font des salles de marchés (Le Loup de Wall Street etc.). L’ambiance autour de moi est très sérieuse et studieuse. Les traders sont en grande majorité des ingénieurs. Le trading est un métier stressant où l'on doit prendre des décisions rapidement qui engagent de grosses sommes d'argent. Il est donc nécessaire de maintenir une certaine discipline pour réussir sur le long terme. Il y a d'ailleurs une grande tradition de traders ex- militaires ou ex-athlètes professionnels pour cette raison.
J’arrive à 7h le matin et je repars le soir vers 19h. Les journées sont très denses et demandent beaucoup de concentration. Je passe la plupart de mon temps à gérer le risque ou à coder et analyser des données.
Comment gérez-vous votre stress?
J'ai toujours réussi à bien séparer travail et vie personnelle. C'est un trait de personnalité important pour réussir à supporter la pression liée au métier de trader et les fluctuations de résultat qui peuvent être importantes dans une journée donnée à la hausse ... mais aussi à la baisse ! Ce qui aide c’est d’avoir une approche de la prise de décision en laquelle on a confiance. Moi j'aime m'appuyer sur une approche systématique ou je ne dévie pas d'une décision tant que les résultats restent dans une fourchette calibrée à l'avance.
Quelles sont les compétences qui vous ont permis d’entrer à Goldman Sachs?
À mon époque, les banques recrutaient très peu à l'étranger et être diplômée de Princeton m'a beaucoup aidée pour passer la première étape. Ma formation d'ingénieur Ensimag m’a ensuite permis de gérer les entretiens sur le plan technique.
Cela dit, les choses ont beaucoup changé au cours des 10 dernières années. Les grosses banques américaines comme Goldman Sachs cherchent maintenant à recruter les ingénieurs français directement à la sortie de leur école. GS a d'ailleurs ouvert un bureau à Paris dans l'optique d'en faire un "Quant hub".
Mon conseil principal est de commencer par un stage car il est très difficile de rentrer directement en "full-time". Il ne faut pas hésiter à postuler dans de nombreuses banques / pour de nombreux postes, et il faut faire preuve de ténacité. Les interviews sont longues et exigeantes, ce qui est en partie fait pour tester la motivation du candidat.
Que pensez-vous des masters El Karoui, Laure Elie, Lamberton etc?
Ce sont sans aucun doute parmi les meilleurs Master de mathématiques financières au monde. Si un étudiant a une préférence précise pour un rôle ou les mathématiques financières avancées sont utiles (en modélisation de produits exotiques par exemple), alors c'est une excellente option. Mais il y a finalement assez peu de métiers en Finance qui nécessitent ce genre de connaissances avancées. Les connaissances techniques que l'on acquiert à l'Ensimag sont à mon sens suffisantes pour la plupart des carrières dans l'industrie financière. En général, je conseillerais donc plutôt un master qui complète les compétences d’un ingénieur Ensimag, comme un master plus professionnalisant ou à l'étranger. Par exemple, Princeton m’a permis de développer ma culture générale en économie/finance, ce qui était mon point faible à l’époque.
Avec l’évolution des algorithmes et des technologies, quel est l’avenir d’un trader?
L'automatisation d'un marché change très certainement la nature du rôle d'un trader mais ne les remplace pas. En Equities par exemple, les marches ont traversé une phase d'automatisation il y a environ 10/15 ans. Les traders sont devenus moins nombreux et le rôle du trader est devenu plus quantitatif. Alors que les traders "old school" passaient beaucoup de temps sur des aspects opérationnels, les "nouveaux" traders sont souvent les personnes qui vont mettre au point les stratégies automatisées ou semi-automatisées de trading et de gestion du risque. L'automatisation a donc selon moi rendu le rôle de trader bien plus intéressant qu'il ne l'était auparavant.
FICC (Fixed income, Currencies, Commodities) est en train de traverser une période de forte automatisation en ce moment. Il sera intéressant de voir comment le rôle du trader évolue dans les années qui viennent. Je m'attends à une évolution similaire à celle qu'a traversé Equities.
Il y aura cependant toujours des produits qui resteront plus manuels. C'est le cas par exemple de produits dits "exotiques".
Avez-vous des derniers conseils pour conclure?
Ayant en tête que je m'adresse principalement à des étudiants, j'ai quelques conseils sur la démarche d'interview qui est le point de départ de toute carrière !
Premièrement, comme mentionné plus haut, il est important de candidater le plus tôt possible et dans un grand nombre d'entreprises et de rôles différents. Pour maximiser ses chances mais aussi parce que l'interview agit souvent comme un révélateur et permet d'affiner ses préférences. Par exemple, j'avais initialement une préférence pour les rôles de « quant ». Mais après avoir interviewé avec de nombreuses équipes et avoir approfondie ma compréhension des différents rôles je me suis rendue compte que le rôle de trader me correspondait bien mieux. J’ai donc au fil du processus d’interview ajusté mes objectifs.
Deuxièmement, il faut bien se renseigner sur chaque endroit avec lequel on interview. Une bonne manière de le faire consiste à contacter des personnes qui y travaillent via le réseau des alumnis Ensimag ou un autre réseau. Mon conseil est d’ailleurs de mentionner cette démarche durant l'interview car le fait d'avoir fait cet effort est très valorisé.
Dernièrement, il est impossible de maitriser tous les sujets liés à la finance qui sont bien trop nombreux, en revanche il est important de connaitre un ou deux sujets de manière précise et de pouvoir en parler en détail durant les interviews. Je conseille donc en lisant les news financières de se concentrer sur un ou deux sujets et de les approfondir. Il faut ensuite diriger la conversation vers ce sujet de manière affirmative pendant l’interview.
Interview réalisée par Bruno CHADUTEAU et Yevann RANDRIAMORA
Propos recueillis par Bruno CHADUTEAU